Comment lisser l’histoire…

A cause du confinement, me voilà contraint à lire des ouvrages anciens. Voilà que je tombe sur un bouquin de 1986, sous-titré Le dictionnaire des 366 stations de métro de Paris. Quelle bonne idée, apprendre l’origine des noms des stations, leurs caractéristiques… Mais bon sang, quelle déception !

L’entrée Porte des Lilas ne dit rien de Gainsbourg, passons sur cette omission.

Celle sur la station Louise Michel décrit la militante anarchiste comme « socialiste », évacue en une ligne sa participation à la Commune et passe sous silence ses activités féministes comme sa déportation en Nouvelle-Calédonie…

La fiche consacrée à Porte Dorée détaille sur plus d’une page un meurtre pas élucidé commis en 1937 dans une rame dans cette station mais ne dit rien du Palais de la Porte-Dorée situé tout à côté, dédié à ce moment-là « à la France colonisatrice et civilisatrice ».

Ayant travaillé il y a peu de temps encore à Montreuil, je consulte la notice de Croix-de-Chavaux : si Jacques Duclos y est bien mentionné c’est comme « candidat aux élections présidentielles [de 1969] contre de Gaulle et Mitterrand » ! Rappelons qu’en 1969, l’élection présidentielle était due à la démission du général de Gaulle et que c’était Pompidou qui était le candidat « gaulliste » et Gaston Deferre celui des socialistes…

Plus grave, si on s’intéresse à Charonne, on apprendra que « cette station fut en 1962 le théâtre d’une tragédie (…) des heurts violents entre manifestants et forces de police firent plusieurs morts » - en réalité neuf morts, tous manifestants, tués par des policiers aux ordres de Maurice Papon, alors préfet de police, devenu par la suite ministre de Giscard d’Estaing ; en 1986 il était déjà inculpé pour crimes contre l’humanité pour sa participation à la déportation de Juifs bordelais en 1943 mais ça, le lecteur ne le saura pas…

L’entrée Quatre-Septembre ne tient que trois lignes. Trois lignes pour la proclamation de la République par Gambetta (qui n’est pas nommé), alors que Place de Clichy détaille sur quatre lignes une panique de 1904 qui n’eut pas de conséquences et que toutes les stations au nom de saints (de Saint-Ambroise à Saint-Sulpice) ont au moins une demi-page chacune, on voit bien les priorités de l’auteur…

On hésite donc pour ce livre entre une simple mais sévère incompétence historique du rédacteur et une volonté délibérée de privilégier l’anecdotique au signifiant. Bref, un livre à oublier.

 Gérard Roland. Stations de métro. Christine Bonneton Ed., 1986, Paris, ISBN 2-86253.014.X (nombreuses rééditions depuis cette date).

14/11/2020

Mots-clés : Lecture, Gérard Roland, Métro

Date de dernière mise à jour : 19/11/2020