Les Carnets de guerre de Louis Barthas

Je n’avais jamais lu Les Carnets de guerre de Louis Barthas. Merci à ma belle-mère de me les avoir fait découvrir récemment. Découverte un peu honteuse puisque la 4ème de couverture m’apprend que François Mitterrand les avait appréciés et la postface de Rémy Cazals qu’ils sont devenus, à l’instar du Feu d’Henri Barbusse, d’A l’Ouest rien de nouveau d’Erich Maria Remarque et des Sentiers de la gloire de Kubrick, un « classique » de la Première Guerre mondiale…

Alors, inutile d’en parler ici ? Je fais le pari inverse.

C’est le journal d’un tonnelier audois, mobilisé à 35 ans en 1914. Près de 600 pages pour quatre années de guerre dont on connait l’issue et pourtant on est tenu en haleine tout au long. Est-ce la nécessaire subjectivité du récit ou sa précision et sa clarté ?

Au-delà des thèmes habituels des livres de guerre (l’absurdité et l’atrocité du conflit, la peur, la souffrance et la mort), on relève des sujets de préoccupation récurrents pour les poilus, qui m’ont surpris voire dérangé. La mauvaise qualité de l’information donnée à la troupe est au premier plan : que ce soit sur les délais des opérations, les affectations, même les balisages, l’erreur ou l’approximation règne. Le rôle de l’officier subalterne est aussi questionné, ainsi que son humanité et son courage personnel très variables. J’ai été frappé par l’importance accordée par les soldats à leur couchage, bien plus qu’à leur nourriture, et vraiment bouleversé par les défaillances fréquentes du soutien sanitaire.

Au plan strictement militaire, j’ai découvert l’extrême proximité des premières tranchées des deux camps, la crainte des bombardements aériens bien plus que de l’artillerie, la rencontre fréquente de troupes alliées étrangères (russes ou indiennes) peu mentionnées aujourd’hui.

Le style narratif de cet ouvrage est agréable par sa concision mais aujourd’hui surprenant : il y a un siècle, un tonnelier titulaire du certificat d’études employait naturellement l’imparfait du subjonctif ! Il est vrai que sous la plume de ce socialiste internationaliste, les Noirs sont désignés Nègres et les Bretons sont évidemment alcooliques…

Louis Barthas est finalement un paradoxe personnifié. Pacifiste dans l’âme, il est nommé rapidement caporal puis cassé de son grade suite à une altercation avec sa hiérarchie mais promu à nouveau. Il commande les hommes de son escouade avec dignité et humanité et ils le lui rendent bien. Il concilie comme il peut l’accomplissement de son devoir de soldat et sa conscience politique d’homme éveillé. Etonnamment, ce témoin qui écrivait du front à Marcel Sembat pour réclamer une meilleure organisation logistique ne fait pas parler de lui à son retour chez lui et ses carnets n’étaient pas destinés par lui à être publiés. Heureusement, ses petits-enfants ont jugé nécessaire de rendre publique cette œuvre.

Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918. La Découverte, 1978, plusieurs rééditions, ISBN 978-2-7071-7752-0, 16 €.

Date de dernière mise à jour : 15/07/2023