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L'Huma : le pacifisme intégral ?
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- Le 15/12/2025
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La semaine dernière, comme d’habitude, j’ai acheté l’Humanité Magazine et je l’ai lue. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai été très déçu. Le numéro comportait un dossier spécial sur « l’escalade guerrière ».
En première de couverture, le titre n'est pas complètement lisible, on ne lit bien que : "Europe le choix de l'escalade guerrière". Ce qui est parfaitement cohérent avec la photographie du Président français et du chef d'état-major français : pas d'autres dirigeants politiques européens, pas d'autres chefs militaires européens et, bien sûr, ni Poutine, ni Medvedev, ni Guerassimov...
En page 3, l'éditorial de Fabien Gay reste dans même veine. Une critique à sens unique de Macron, du chef d'état-major français, du service militaire, de l'"économie de guerre", du maniement des armes. Passons sur le procès d'intention selon lequel le service militaire ne devrait concerner que les enfants de la ruralité et des quartiers populaires, mais que sont advenues les valeurs de la conscription ? La Nation en armes à Valmy, Gambetta et le gouvernement de défense nationale, l'Armée nouvelle de Jaurès, tout cela passé à la trappe ? A croire que les Nazis ont été vaincus par la raison et pas par les armes...
Le titre de l'article de Vadim Kamenka "Face à la Russie, l'Europe joue l'escalade" (pages 18 à 21) est également symptomatique du parti pris. Hors de question de mentionner que c'est bien la Russie qui a agressé l'Ukraine (et massacré les Ukrainiennes et Ukrainiens) et qui a menacé et menace toujours la Pologne et l'Estonie.
L'illustration de cet article est d'ailleurs dans la manipulation totale. Une photographie d'une force navale légendée "Sous la houlette de l'armée allemande, l'OTAN renforce sa défense en mer Baltique". Pourquoi ce recours à l’imagerie de l'Allemagne agressive ? Il faut être un peu géographe et militaire pour décrypter ce qui n’apparait pas d’emblée : il s'agit bien d'un exercice et pas d'une attaque, l'exercice a lieu "au large de Kiel", soit entre les côtes allemandes et celles du Danemark, pas au large de Saint-Pétersbourg. Le seul bâtiment identifiable sur la photo est d’ailleurs tout sauf un navire de combat : le A264 est un ancien navire océanographique soviétique (donc pas vraiment de première jeunesse...), transféré en 1990 à l'Estonie qui l'a vendu en 1996 à la Suède qui l'utilise désormais comme navire de support. Ça dégonfle un peu l'aspect "les méchants Boches veulent à nouveau attaquer Leningrad", non ?
Dans cet article, un trouve la critique des multiples interventions de responsables politiques et militaires européens qui ont osé dire que l'objectif de Poutine était d'affaiblir l'Europe et de démanteler l'OTAN. Mais, oui, ils ont eu raison. Et comment s’étonner de ce qu'ils se préparent à une possible guerre : c'est bien sûr l'essentiel de leur mission et heureusement.
Pour critiquer la "course aux armements" européenne, l’article cite le SIPRI de Stockholm et rapporte que les dépenses militaires mondiales ont augmenté de 9,4% depuis 2023. L’auteur n'a-t-il accordé aucune attention au détail des données du SIPRI ? Qu’il les ait zappées par inadvertance ou cachées volontairement, je rappelle les montants des budgets militaires 2024 de quelques pays en % de leur PIB : France = 2,1% ; Allemagne = 1,9% ; UK = 2,3% ; USA = 3,4% ; Pologne = 4,2% ; Russie = 7,1% ! Il est où le militarisme allemand, français, européen ?
Un peu plus loin, la Russie est peinte comme le loup d'Intermarché : un carnivore sympathique et incompris qu'il suffirait d'amadouer pour que tout s'arrange. Le journaliste s’inquiète ainsi du sentiment d'enfermement géopolitique de la Russie dans ses frontières et de son seul accès à la mer par Leningrad. Bon, d'abord, c'est Saint-Pétersbourg - quand je parle de Kaliningrad, je ne dis pas Königsberg. Ensuite, ce qui est dit de la Baltique justifierait donc, en transposant à la mer Noire, que la Russie menace aussi la Turquie (ah, bravo, gagné : effectivement elle le fait).
Dans l'article de Lina Sankari, "La Finlande, le bon soldat de l'Europe" (pages 22 à 25), on retrouve la critique d'une nation en armes, je renvoie à ce que j'écrivais plus haut : comment oublier ou rejeter Carnot et les soldats de l'An II ? Même si cet article est plus factuel et moins dogmatiquement favorable à la Russie poutinienne ou soviétique, il compte tout de même une erreur historique : il y est écrit que la Finlande a été "dominée" par la Russie tsariste pendant un siècle. C'est très imprécis, la réalité est que le grand-duché de Finlande a été, au sein de l'Empire russe, de 1809 à 1917 un territoire largement autonome qui a gardé sa langue (ses langues, plus exactement), qui a obtenu un Parlement et pu édicter des lois progressistes (par exemple, le droit de vote aux femmes en 1906 quand, à l'époque, tous les hommes russes ne votaient pas pour élire la Première Douma...) et qui, en 1906 toujours, accueillit en exil le camarade Lénine.
Je ne commenterai en revanche pas l'interview d'Edouard Bénard (pages 26-27) puisque c'est l'expression d'une opinion que je respecte.
Voilà : je pense que l’Humanité participe à une démarche pseudo-pacifiste mortifère, comme ce que l'Europe a connu en 1938. L'Ukraine joue le rôle de la Tchécoslovaquie, le Donbass c'est les Sudètes, Poutine est Hitler, la Pologne risque de rester la Pologne, l'éternelle nation martyr, je m'emploie à ce que l'Europe ne soit pas, cette fois-ci, munichoise, mais pas l’Humanité. Je crois que c'est Churchill (pas un homme de gauche, certes) qui a dit "ils avaient le choix entre la guerre et le déshonneur, ils ont choisi le déshonneur et ils ont eu la guerre".
Cette position me désole car j'appréciais ce journal. J’ai exposé ma position à sa rédaction. Dans l'attente de sa réponse, je m'abstiens désormais de l'acheter chaque dimanche.
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Féminisme quantitatif
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- Le 17/10/2025
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L’autre jour, j’ai participé à la 7ème journée francilienne Urbanisme et Santé. Au début de la session d’après-midi se plaçait une Carte blanche à un grand témoin : c’était Ariella Masboungi, une urbaniste féministe (que je ne connaissais pas), qui bouscula un peu l’auditoire en lui lançant : Osez la ville féministe !
Elle termina son propos sur la question de la place des femmes dans l’odonymie des villes européennes, montrant le pourcentage de rues portant des noms de femmes dans quelques cités. On découvrit ainsi que, malgré toutes les actions d’Anne Hidalgo en ce domaine, Paris (à 8,6 % - c’était 4 % en 2011) peinait à dépasser Lyon (8,5 %) et restait dans le ventre mou européen.
Ce que Mme Masboungi ne commenta pas et qui figurait pourtant sur sa diapositive était le palmarès des femmes concernées sur cet échantillon de villes. On put rapidement constater et, à mon sens, déplorer, que sur les dix premières femmes honorées, neuf étaient des saintes catholiques : Notre-Dame en tête, sainte Anne ensuite, Marie Curie sauvant l’honneur de la laïcité en montant in extremis sur le podium ! Et encore sous le nom de son mari et pas en tant que Maria Sklodowska…
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Des efforts pour la planète.
Persuadé que les actions individuelles peuvent, si elles ne sont pas isolées, avoir un effet global, j'ai insisté ces dernières années pour que les déplacements organisés par la ville d'Antony vers nos communes jumelles soient effectués autant que possible en train et pas systématiquement en avion. Pour Reinickendorf (Berlin), les refus opposés par Jean-Yves Senant ont varié au cours du temps : tout d'abord c'était impossible, il n'y avait pas de ligne ferroviaire ; puis c'était trop compliqué, il fallait changer à Francfort ; finalement, c'était vraiment trop long...
En mai dernier, Anne et moi, désireux de (re)récouvrir Berlin avons réservé un aller-et-retour Paris-Berlin en 1ère classe, sans changement (756 € au total) : départ de la gare de l'Est à 09.55, arrivée à la gare centrale de Berlin à 18.03.
Evidemment c'est plus long que l'avion. Surtout que l'arrivée s'est faite à 19.40 au lieu de 18.03 et que la cafétéria était exceptionnellement fermée... De plus, il a fallu patienter deux mois pour percevoir 60 € d'indemnités de retard de la Deutsche Bahn.
Mais nous avons pu profiter de Berlin, du Reichstag à la place d'Antony devant la mairie de Reincikendorf, l'esprit léger : nous n'avons relargué que l'équivalent de 14 kg de CO2 dans l'atmosphère au lieu de 975 kg si nous avions pris l'avion. 98,6 % de réduction, ça vaut bien quelques efforts, non ?
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Fünfzig Grade in Reinickendorf: wer ist schuld?
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- Le 10/11/2023
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L’autre soir à Antony, le café écolo de novembre accueillait une soirée-débat sur les possibilités communales d’action face au dérèglement climatique. Une adjointe à la maire de Paris, élue Génération.s et contributrice au rapport Paris à 50°C insistait sur la nécessité d’aides de l’Etat aux collectivités et donc de porter des écologistes au pouvoir aussi au niveau national.
Cependant, les habitants de notre ville jumelle ont bien du souci à se faire : Robert Habeck, ministre allemand de l’économie, vient de donner son feu vert à la remise en exploitation de la mine à ciel ouvert de Garzweiler. Cette mine de lignite est considérée comme une des principales bombes de carbone du continent, elle va permettre le fonctionnement de quatre centrales thermiques, dont celle de Jänschwalde dans le Brandebourg, pas loin de Reinickendorf, a priori jusqu’en 2030. Il faut bien compenser l’arrêt par ce même Robert Habeck de trois centrales nucléaires qui fournissaient de l’électricité décarbonée…
Ah, j’oubliais : Robert Habeck est aussi ministre du climat et il est écologiste.
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Archéologie de l'écologie
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- Le 02/09/2023
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Mon beau-père, Michel Rambaut, qui fut physicien nucléaire au CEA, est mort en 2009. Récemment, son épouse Geneviève a mis la main sur un de ses manuscrits, préparé en 1985 pour une « planche » devant sa loge maçonnique. Anne et moi avons découvert ce texte qui, malgré ses 38 ans, nous a semblé terriblement actuel. Avec l’accord de ma belle-mère, nous le divulguons aux profanes, sans aucune modification.
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Pour une prise en compte du problème de l’écologie mondiale
Qui n’a pas entendu parler des pluies acides sur l’hémisphère nord, aussi bien au Québec qu’en Scandinavie, ces pluies qui font mourir les forêts. Qui n’a pas entendu parler de la diminution en vingt ans du tiers de la forêt amazonienne. Qui n’a pas entendu parler de la pollution chimique d’un fleuve énorme comme l’Angara en Sibérie. Ce ne sont là que des exemples, mais qui sont l’indice du fait que l’impact de l’homme sur la biosphère devient de plus en plus lourd.
Entrainée dans le tourbillon du progrès technique, la majorité des hommes modernes vit comme si nous disposions d’une biosphère de dimensions infinies. Il est certes dérangeant pour l’esprit de prendre conscience de ce que la biosphère n’est qu’une mince pelure de moisissure à la surface de la planète Terre, isolée dans l’immensité de l’espace. Le défaut de prise de conscience de cette dure réalité est explicable car nos mentalités ont été forgées par une culture qui remonte au néolithique, il y a quelques millénaires, alors qu’il n’y avait que quelques habitants par km² en Europe. Il y avait équilibre entre l’homme et le milieu naturel. Il est nécessaire de se rendre compte que cet équilibre est rompu. Notre civilisation et notre mode de vie sont devenus extrêmement fragiles face à la moindre situation accidentelle, soit naturelle, soit artificielle.
L’homme n’est pas la première espèce à avoir submergé la planète et à lui avoir imposé sa loi. Les fameux dinosaures l’ont dominée durant une bonne centaine de millions d’années. Puis ils ont disparu brutalement il y a environ 60 millions d’années ; d’après la théorie la plus récente cette disparition serait due au passage de la Terre à travers un nuage stellaire comme il en existe beaucoup dans notre galaxie : le climat devint plus froid, les végétaux se raréfièrent et le milieu naturel ne fut plus à même de subvenir aux besoins considérables de ces créatures. C’est pourquoi on retrouve de nos jours de longues files d’ossements des restes de cette espèce groupée en divers emplacements de la planète. Seules résistèrent à cet aléa stellaire des espèces plus rustiques, dont les besoins étaient moins importants, les premiers mammifères.
Il serait nécessaire de tenir compte de cette leçon de la nature, bien que le règne de notre espèce soit très récent sur cette planète, mais alors que son emprise sur elle est bien plus forte que celle des dinosaures.
Il y a peu de temps, c'est-à-dire quelques millénaires ou même quelques siècles, l’homme vivait décemment en symbiose avec le milieu naturel. Les premières grandes métropoles comme Athènes, Alexandrie avaient un impact négligeable sur le milieu naturel.
Au contraire de nos jours pour assurer la survie du milieu naturel et la sienne propre, l’homme doit se garder de toute erreur. De quel pourcentage, raser complétement la forêt amazonienne ferait augmenter le taux de gaz carbonique dans l’atmosphère de la planète ? C’est le genre de question que l’homme en tant qu’espèce doit se poser.
Faire tout ce qu’il faut pour préserver le milieu naturel devrait être notre règle d’or, en ayant à l’esprit que le progrès technique pose beaucoup plus de problème qu’il n’en résout.
C’est à son intelligence que l’espèce devra sa survie, autant qu’au respect de la nature.
Ce problème d’écologie mondiale a en fait un aspect à la fois philosophique et symbolique. Il s’agit de retrouver principalement le sens du symbole de la déesse Mère, que l’on rencontre par exemple à la fois chez les habitants de l’Amérique du nord d’avant 1492, et à l’emplacement de l’Ukraine actuelle, mais il y a 20 000 ans. C’est ainsi que les Algonkins par exemple avaient vécu pendant 40 000 ans en équilibre avec leur Mère la Terre. Le respect de la nature aussi bien chez eux que chez les anciens gaulois se traduisait par une foule de symboles qui exprimaient la quintessence d’une réalité où chaque chose et chaque être devait avoir sa place.
Avec le temps, le symbole pouvait se faire mythe, il n’empêche que par exemple l’idée symbolique de dieu tutélaire de la source, de génie du bois sacré, d’esprit du fleuve, assurait le respect du milieu naturel.
Je me demande si nous n’avons pas abusé de symboles qui représentent uniquement la capacité de l’homme à agir, à construire mais aussi à dominer et à détruire. Il est des outils qui sont des armes contre la vie : je laisse à chacun le soin de trouver des exemples. Cela a peut-être été une étape nécessaire et bénéfique dans le développement matériel et moral de l’humanité, et peut-être aussi dans celui de la Franc-Maçonnerie. Il faut se demander si cette étape n’est pas finie.
En revanche le progrès consistera peut-être à l’avenir à retrouver une dimension perdue, sans pour cela rejeter l’acquis de la connaissance et de siècles d’efforts scientifique et technique, et en s’efforçant de comprendre à nouveau des sentiments et des symboles enfouis dans le passé !
J’estime personnellement que notre ordre ferait œuvre utile en proposant comme sujet d’études celui de l’écologie mondiale et des rapports nécessaire avec le symbolisme. Cette proposition pourrait commencer par venir de cet atelier.
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Commentaires :
Tout au long de ce texte, destiné à être lu, Michel Rambaut écrit « l’homme » et pas « l’Homme ». Il est cependant bien évident qu’il ne veut pas parler du masculin, à distinguer de la femme, mais de l’être humain (il parle d’ailleurs de « l’homme en tant qu’espèce »), confronté au milieu naturel, à la biosphère, à l’avenir ou à … l’Etre suprême.
Michel Rambaut attribue l’extinction Crétacé-Paléogène à la traversée par notre planète d’un « nuage stellaire ». Cette théorie, discutée à l’époque de la rédaction du texte et encore soutenue ponctuellement il y a quelques années, n’est, à l’heure actuelle, plus vraiment défendue ; le consensus scientifique s’établit désormais sur l’impact d’un astéroïde, éventuellement suivi d’éruptions volcaniques.
Ces deux bémols mis à part, je suis estomaqué par l’actualité des assertions ou allusions (la submersion de la planète, le taux de CO2 dans l’atmosphère, la personnalisation d'éléments de l'environnement), par la vigueur des formules (« la biosphère n’est qu’une mince pelure de moisissure à la surface de la planète ») et par l’ambition finale (c’est à son intelligence que l’espèce devra sa survie). Mais cet espoir est-il bien placé ? Je n’en suis pas certain.
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D'une guerre l'autre
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- Le 21/03/2022
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J'étais avant-hier à la cérémonie de commémoration de l'arrêt des combats en Algérie en 1962.
Cette guerre avait trois caractéristiques :
* c'était un affrontement entre deux peuples voisins qui avaient eu une histoire commune pendant plusieurs générations ;
* c'était un conflit entre un état "fort", équipé, entrainé et dominateur et un peuple qui refusait le système colonial que le "fort" voulait lui imposer ;
* techniquement, c'était une guerre entre une supériorité aéroterrestre évidente et une guérilla appuyée sur la connaissance du terrain et le soutien des populations.
En 2022, l'histoire hoquète et la guerre en Ukraine présente ces mêmes caractéristiques.
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Souvenirs de 30 ans d'armée
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- Le 20/03/2021
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Je me souviens que lors de son pot de départ, Daniel P. a dit qu’il avait essayé au cours de son exercice professionnel d’être honnête avec ses patients, avec ses confrères cliniciens, avec le Service, mais qu’il avait l’impression que le Service n’avait pas été très honnête avec lui.
Je me souviens que Dominique J. s’était vu communiquer comme dernière notation « officier sans parole, ne tient compte que de ses intérêts » parce qu’il quittait le Service par anticipation.
Je me souviens du gestionnaire d’un hôpital des armées qui ne savait pas « au juste » ce que c’était que l’ONDAM (l’objectif national des dépenses d’assurance-maladie) ; je me souviens aussi que son médecin-chef ne connaissait pas le montant du budget de son établissement.
Je me souviens d’un médecin général qui avait coutume de désigner à chaque visiteur l’interlocuteur qui venait de quitter son bureau comme « ce petit trou du cul ».
Je me souviens que, lors du choix final d’un concours hospitalier, j’ai pris un poste qui ne me plaisait pas beaucoup pour arranger mon concurrent arrivé second et qu’il ne me l’a jamais pardonné.
Je me souviens que la première fois où j’ai posé le pied sur un bâtiment de guerre, je ne savais pas saluer à la coupée.
Je me souviens d’un pharmacien général qui a réussi à faire toute une mission d’audit sans jamais régler le prix de ses repas.
Je me souviens d’un match de water-polo à Ziguinchor au cours duquel le Professeur M. a marqué deux buts.
Je me souviens d’un pharmacien-chef qui confondait le Voltarène et le Vogalène ainsi que la maladie de Behçet avec une supposée maladie de K7.
Je me souviens du directeur du service de santé de Villacoublay qui brancardait lui-même les blessés évacués du Liban pour pouvoir passer à la télévision.
Je me souviens du jour de la Première guerre du Golfe où j’ai établi la formulation de la solution décontaminante polyvalente pour toxiques de guerre ; je me souviens qu’elle est restée gravée dans le marbre des instructions officielles pendant 15 ans avant qu’on ne s’aperçoive qu’elle était inefficace sur l’ypérite.
Je me souviens du discours du Professeur R. lors de son pot de départ où il expliquait qu’il ne voulait pas passer du compromis à la compromission.
Je me souviens de : « Le Président Arafat est dans un état stable ».
Je me souviens d’un ancien Premier ministre qui discutait avec son médecin traitant de la pluie et du beau temps dans le hall du Val-de-Grâce.
Je me souviens qu’à Noël 1989, avec l’Elément médical militaire d’intervention rapide et le 1er Spahis, j’ai réveillonné avec du jambon et des chips mais aussi avec du champagne, en attendant de partir pour Timisoara ; je me souviens que nous ne sommes finalement jamais partis.
Je me souviens de : « Putain, Edouard, vous savez où ils vous envoient ? » du Professeur V. lorsqu’il a reçu le message me désignant pour la première partie de la saison thermale à l’hôpital François-Maillot de Vichy alors que j’étais supposé partir à Beyrouth.
Je me souviens de la nuit irréelle du 31 décembre 1999 où, à minuit, comme tous les chefs de services de Sainte-Anne, je vérifiais le fonctionnement de tous les matériels électriques, alors que les bâtiments de la Force d’action navale faisaient retentir leurs sirènes sur la rade.
Je me souviens que, pendant trois semaines au préparatoire du Val-de-Grâce, nous avons synthétisé, purifié et conditionné du bleu de Prusse pour traiter un militaire libanais intoxiqué par un yaourt au thallium.
Je me souviens de la première importation d’Ambisome depuis les Etats-Unis au cours de la Première guerre du Golfe et des difficultés de transport à cette époque.
Je me souviens du local d’Aviation sans frontières à Orly-Sud où nous allions apporter des médicaments périmés pour l’hôpital Girard et Robic de Tananarive.
Je me souviens qu’on m’a demandé ce que je pensais du tsunami à l’oral du concours du Contrôle général des armées.
Je me souviens des coquetels à la résidence du Cap-Brun avec les attachés navals étrangers ; je me souviens de celui où j’avais 24 heures d’avance, m’étant trompé de date.
Je me souviens du défilé du 14 juillet 1976 où, après quatre mois de sécheresse, la pluie a détrempé nos tenues et fait rouiller nos épées.
Je me souviens qu’après une prise d’armes du 11-Novembre sur la place des Terreaux, nous avons défilé au milieu du chantier du métro en chantant une paillarde ; je me souviens que le médecin en chef G., commandant en second de l’Ecole, nous a engueulés ensuite mais ne nous a pas punis.
Je me souviens qu’à l’Ecole, les sous-officiers nous faisaient la guerre pour que nous soyons en tenue réglementaire ; je me souviens que le Directeur de l’Ecole portait toujours des chaussures à boucle lors des prises d’armes, je me souviens aussi d’un capitaine de compagnie avec des chaussures marron qui est devenu plus tard une référence mondiale dans le traitement des brulés.
Je me souviens de l’adjudant-chef L. qui comptait les rouleaux de papier hygiénique avant le départ pour le stage de haute montagne.
Je me souviens d’une patiente infectée par le VIH qui insistait sur sa contamination transfusionnelle, ne voulant pas être confondue avec « tous ces débauchés ».
Je me souviens que pour instaurer un traitement par thalidomide, il fallait que la patiente signe un engagement de contraception ; je me souviens des difficultés rencontrées avec une religieuse et aussi avec un transsexuel.
Je me souviens de cette maman séropositive qui est venue spécialement à la pharmacie de l’hôpital pour dire que son bébé n’était finalement pas contaminé.
Je me souviens des réunions du Bureau d’hygiène navale du Port de Toulon où on discutait à perte de vue de l’inutilité évidente d’une pièce « Fumeurs » au sein de la Pyrotechnie.
Je me souviens des difficultés que j’avais à distinguer les conditions d’exercice d’un fusilier de celles d’un fusilier-commando lorsque j’ai siégé pour la première fois au Conseil de santé.
Je me souviens des cours de pharmacologie à l’Ecole des personnels paramédicaux des armées et des élèves légionnaires allemands qui avaient du mal à prononcer les noms des médicaments.
Je me souviens du temps que prenait Philippe P. pour noter ses adjoints, de ses hésitations et de ses scrupules ; je me souviens qu’à chaque fois que j’ai eu à mon tour à noter des collaborateurs, je me suis demandé ce qu’il aurait écrit.
Je me souviens du carré de Sainte-Anne où Pierre de R. nous parlait de la dégustation des vins sophistiqués et Guy D. de ses préoccupations identitaires récurrentes.
……..
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Max Gros-Louis est mort
Celui qui était surnommé Oné Onti dans sa langue (Bon pagayeur) est mort hier.
C’était un grand chef de la tribu des Hurons. Il avait passé une grande partie de sa vie à lutter pour que les Amérindiens aient les mêmes droits que les descendants des colonisateurs en Amérique du Nord. J’avais eu le privilège de le rencontrer en 1983 dans la réserve qui ne s’appelait pas encore Wendake près de Québec. Deux heures de discussion avec un groupe de touristes français, interrompue par des coups de fils avec des chefs de tribus des Rocheuses pour préparer une action commune. Son expression orale était incroyablement convaincante car enthousiaste et argumentée. Il avait ce jour-là renversé bien de nos certitudes de Français venus naïfs dans un pays ami. Nous avions ainsi appris que lui-même ne pouvait pas avoir la nationalité canadienne et que, si son statut lui permettait de se déplacer sans difficulté aux États-Unis, un voyage en Europe sans passeport canadien relevait d’un exploit administratif. Nous avions aussi été étonnés de découvrir que la loi canadienne ne permettait pas à l’époque aux « Indiens » d’intervenir dans tout processus faisant intervenir de l’argent public et qu’en conséquence, les Hurons n’avaient pas le droit de gérer eux-mêmes le ramassage des ordures dans leur communauté ! Il nous avait aussi expliqué que la situation des habitants des Premières nations au Canada était plus difficile au Québec que dans les provinces anglophones – un syndrome du harcelé harceleur à l’échelle d’un peuple ? Depuis 1983 des choses ont changé, c’est grandement grâce à lui.
15/11/2020
Mots-clés : Max Gros-Louis, Huron, Amérindiens, Premières nations, Canada, Québec