Humanité
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L'Huma : le pacifisme intégral ?
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- Le 15/12/2025
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La semaine dernière, comme d’habitude, j’ai acheté l’Humanité Magazine et je l’ai lue. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai été très déçu. Le numéro comportait un dossier spécial sur « l’escalade guerrière ».
En première de couverture, le titre n'est pas complètement lisible, on ne lit bien que : "Europe le choix de l'escalade guerrière". Ce qui est parfaitement cohérent avec la photographie du Président français et du chef d'état-major français : pas d'autres dirigeants politiques européens, pas d'autres chefs militaires européens et, bien sûr, ni Poutine, ni Medvedev, ni Guerassimov...
En page 3, l'éditorial de Fabien Gay reste dans même veine. Une critique à sens unique de Macron, du chef d'état-major français, du service militaire, de l'"économie de guerre", du maniement des armes. Passons sur le procès d'intention selon lequel le service militaire ne devrait concerner que les enfants de la ruralité et des quartiers populaires, mais que sont advenues les valeurs de la conscription ? La Nation en armes à Valmy, Gambetta et le gouvernement de défense nationale, l'Armée nouvelle de Jaurès, tout cela passé à la trappe ? A croire que les Nazis ont été vaincus par la raison et pas par les armes...
Le titre de l'article de Vadim Kamenka "Face à la Russie, l'Europe joue l'escalade" (pages 18 à 21) est également symptomatique du parti pris. Hors de question de mentionner que c'est bien la Russie qui a agressé l'Ukraine (et massacré les Ukrainiennes et Ukrainiens) et qui a menacé et menace toujours la Pologne et l'Estonie.
L'illustration de cet article est d'ailleurs dans la manipulation totale. Une photographie d'une force navale légendée "Sous la houlette de l'armée allemande, l'OTAN renforce sa défense en mer Baltique". Pourquoi ce recours à l’imagerie de l'Allemagne agressive ? Il faut être un peu géographe et militaire pour décrypter ce qui n’apparait pas d’emblée : il s'agit bien d'un exercice et pas d'une attaque, l'exercice a lieu "au large de Kiel", soit entre les côtes allemandes et celles du Danemark, pas au large de Saint-Pétersbourg. Le seul bâtiment identifiable sur la photo est d’ailleurs tout sauf un navire de combat : le A264 est un ancien navire océanographique soviétique (donc pas vraiment de première jeunesse...), transféré en 1990 à l'Estonie qui l'a vendu en 1996 à la Suède qui l'utilise désormais comme navire de support. Ça dégonfle un peu l'aspect "les méchants Boches veulent à nouveau attaquer Leningrad", non ?
Dans cet article, un trouve la critique des multiples interventions de responsables politiques et militaires européens qui ont osé dire que l'objectif de Poutine était d'affaiblir l'Europe et de démanteler l'OTAN. Mais, oui, ils ont eu raison. Et comment s’étonner de ce qu'ils se préparent à une possible guerre : c'est bien sûr l'essentiel de leur mission et heureusement.
Pour critiquer la "course aux armements" européenne, l’article cite le SIPRI de Stockholm et rapporte que les dépenses militaires mondiales ont augmenté de 9,4% depuis 2023. L’auteur n'a-t-il accordé aucune attention au détail des données du SIPRI ? Qu’il les ait zappées par inadvertance ou cachées volontairement, je rappelle les montants des budgets militaires 2024 de quelques pays en % de leur PIB : France = 2,1% ; Allemagne = 1,9% ; UK = 2,3% ; USA = 3,4% ; Pologne = 4,2% ; Russie = 7,1% ! Il est où le militarisme allemand, français, européen ?
Un peu plus loin, la Russie est peinte comme le loup d'Intermarché : un carnivore sympathique et incompris qu'il suffirait d'amadouer pour que tout s'arrange. Le journaliste s’inquiète ainsi du sentiment d'enfermement géopolitique de la Russie dans ses frontières et de son seul accès à la mer par Leningrad. Bon, d'abord, c'est Saint-Pétersbourg - quand je parle de Kaliningrad, je ne dis pas Königsberg. Ensuite, ce qui est dit de la Baltique justifierait donc, en transposant à la mer Noire, que la Russie menace aussi la Turquie (ah, bravo, gagné : effectivement elle le fait).
Dans l'article de Lina Sankari, "La Finlande, le bon soldat de l'Europe" (pages 22 à 25), on retrouve la critique d'une nation en armes, je renvoie à ce que j'écrivais plus haut : comment oublier ou rejeter Carnot et les soldats de l'An II ? Même si cet article est plus factuel et moins dogmatiquement favorable à la Russie poutinienne ou soviétique, il compte tout de même une erreur historique : il y est écrit que la Finlande a été "dominée" par la Russie tsariste pendant un siècle. C'est très imprécis, la réalité est que le grand-duché de Finlande a été, au sein de l'Empire russe, de 1809 à 1917 un territoire largement autonome qui a gardé sa langue (ses langues, plus exactement), qui a obtenu un Parlement et pu édicter des lois progressistes (par exemple, le droit de vote aux femmes en 1906 quand, à l'époque, tous les hommes russes ne votaient pas pour élire la Première Douma...) et qui, en 1906 toujours, accueillit en exil le camarade Lénine.
Je ne commenterai en revanche pas l'interview d'Edouard Bénard (pages 26-27) puisque c'est l'expression d'une opinion que je respecte.
Voilà : je pense que l’Humanité participe à une démarche pseudo-pacifiste mortifère, comme ce que l'Europe a connu en 1938. L'Ukraine joue le rôle de la Tchécoslovaquie, le Donbass c'est les Sudètes, Poutine est Hitler, la Pologne risque de rester la Pologne, l'éternelle nation martyr, je m'emploie à ce que l'Europe ne soit pas, cette fois-ci, munichoise, mais pas l’Humanité. Je crois que c'est Churchill (pas un homme de gauche, certes) qui a dit "ils avaient le choix entre la guerre et le déshonneur, ils ont choisi le déshonneur et ils ont eu la guerre".
Cette position me désole car j'appréciais ce journal. J’ai exposé ma position à sa rédaction. Dans l'attente de sa réponse, je m'abstiens désormais de l'acheter chaque dimanche.